Geneviève L’Heureux: des formes et des végétaux pour habiter les détails

Enfantin mais pas naïf, rêveur mais résolument enraciné, l’art de Geneviève L’Heureux se lit comme une myriade d’histoires. Empreintes de couleurs vives et de formes mystérieuses, ses œuvres font coexister la nature humaine et le monde végétal de façon invisible, systématique et puissante. Rencontre.

Deux oeuvres de la série « Ensemble dynamique ». Crédit: Isabel Sénéchal.

Avant tout, il convient de préciser que Geneviève L’Heureux est, ce que l’on peut appeler, une «artiste dans l’âme».

La voie de la création s’est présentée à elle dès l’enfance. Elle explore à l’école et à la maison les arts plastiques, mais s’amuse également à concevoir des dessins avec le logiciel Paint sur l’ordinateur de son père. D’ailleurs, elle détient toujours certaines de ses premières illustrations numériques. 

Si on se rendait aujourd’hui dans sa maison familiale, on y dénicherait aussi ses premières toiles. «Un tigre et un perroquet que j’ai peints en 2001», s’amuse-t-elle. Dotée d’une personnalité très sociable, Geneviève se souvient qu’elle préférait toutefois s’isoler pour créer et bricoler plutôt que de jouer avec des amis. L’art lui est naturel. 

Après un DEC en arts plastiques, elle poursuit ses études en arts visuels à l’Université Concordia. Avec mélancolie et reconnaissance, elle se remémore le nom de deux professeurs qui ont beaucoup marqué ses réflexions artistiques. L’une l’a d’ailleurs persuadé de développer sa pratique avec la peinture à l’huile et d’oser les grands formats, et l’autre enseignant lui a appris à épurer ses toiles; un défi qu’elle admet avec dérision ne pas toujours relever aujourd’hui.

À la recherche de stabilité, Geneviève L’Heureux opte pour un DÉSS en gestion d’organismes culturels et travaille ensuite dans le domaine culturel pendant plusieurs années. «Et c’est comme ça que j’ai laissé de côté ma pratique artistique. Je pensais être capable de créer à temps partiel, mais non, ce n’était pas réaliste.»

Deux œuvres issues de la série « Formes habitables ».

Retour aux sources 

La désillusion est grande: il lui est impossible de décrocher un poste durable avec de bonnes conditions salariales. «Je pense que je n’ai jamais appliqué à autant de jobs de toute ma vie entre 2012 et 2015, rapporte-t-elle. J’ai dû combiner tellement d’emplois pour y arriver, que parfois j’avais neuf formulaires d’impôts à la fin de l’année.» Chargée de projets ou médiatrice culturelle par-ci, gestionnaire de communauté par-là, le tout ponctué de missions en bénévolat, déplore l’artiste. «Je me suis tannée, et c’est en 2016 que j’ai pris la décision de retourner en art!»

Après une période transitoire et de petits ajustements, Geneviève est aujourd’hui fière d’avoir fait le saut. Elle est désormais artiste visuelle à temps plein. Son atelier de dessin est installé chez elle et l’artiste loue également un studio dans le Mile End pour peindre. Avide d’expérimenter les médiums, sa pratique comprend également l’illustration numérique, la sérigraphie et la risographie.

L’abstraction est le langage primaire de ses œuvres. Ses séries sont ludiques, expressives et les couleurs franches et bigarrées sélectionnées interpellent au premier regard. Les courbes que conçoit l’artiste sont sincèrement invitantes, propices au rêve et les possibilités d’histoires semblent infinies.

Deux œuvres issues de la série « Ensemble dynamique ».

«J’aime les grands tableaux mouvementés avec de grandes plages de couleurs. J’aime aussi les petits dessins qui me permettent d’aller dans la subtilité, de façon plus attentionnée. Mais dans les deux formats, j’aime la texture, et j’aime les petits détails, indique-t-elle. J’aime vraiment la répétition, mettre des p’tits poils, des p’tites traces de quelque chose, du p’tit gazon… J’aime voir mes dessins sur papier [en outre sa série « Formes habitables »] comme des fragments déconstruits de mes grandes peintures. »

Des formes et des répétitions pour parler du vivant

À travers ses toiles, on se laisse bercer par la récurrence de petites formes, parfois détenant une allure quasi animale. Geneviève dessine sans cesse des petites formes, sorte d’icônes ou de symboles qui accompagnent sa vie et donnent naissance par la suite à de plus grandes compositions. 

Ces formes qu’elle collectionne peuvent ressembler à une goutte d’eau, une montagne à bordure de cils ou encore à une maison-mille-pattes. Ces silhouettes uniques sont les témoins de tout ce qui vit autour d’elle: l’humain comme la nature. 

«Ces formes sont représentatives de mes continuelles réflexions sur les habitats et la biodiversité. Elles proposent aussi la vision que j’ai sur divers phénomènes naturels, somatiques ou sociaux, détaille la peintre. Alors, l’incorporation de ces formes dans mes œuvres est centrale. Soit en les utilisant pour créer une composition, soit dans une notion de répétition, ou encore dans une volonté de magnifier une seule forme et de lui donner toute l’importance.»

Au fil du temps, Geneviève s’est constitué une immense bibliothèque de motifs et de petites formes à qui elle donne des petits noms, affectueusement. Il lui suffit de puiser dedans lorsqu’elle s’apprête à créer. 

«À chaque fois, je crée une nouvelle possibilité, et pour moi c’est comme si je venais de découvrir une nouvelle espèce sauvage.»

Illustrations de la série « Bene ».

Afin d’enrichir ses tableaux, l’artiste les accompagne souvent de quelques lignes de prose. «Ça donne une sorte d’explication, relève-t-elle. Même si parfois mes poèmes peuvent être assez flous eux aussi!»

L’artiste aime toutefois laisser les spectateurs de ses œuvres très libres d’interpréter à leur guise ce qu’ils perçoivent, et elle s’émerveille de ce canal de communication affranchi et aléatoire. «J’aime ça quand les gens me disent: “ici je vois un genre de canard avec son manteau sur l’épaule, comme ça, de côté…”, et j’suis comme: “hein, oui, OK, je vois, haha, j’aime ça!”»

La nature omniprésente

Dans sa vaste palette d’expériences, Geneviève possède également des compétences en fleuristerie et horticulture. Ce n’est donc pas un hasard si l’environnement et son éternelle renaissance l’inspire énormément.

«Je trouve aussi que l’art nous aide à nous reconnecter à la nature et aux émotions qu’on ressent envers notre milieu de vie, dit-elle. Pour moi, la biodiversité est source de beauté et d’émerveillement. Il existe une quantité infinie d’écosystèmes.» Des écosystèmes qui font directement écho à celui de ses petites formes diverses et variées: «à chaque fois, je crée une nouvelle possibilité, et pour moi c’est comme si je venais de découvrir une nouvelle espèce sauvage. J’accumule tous ces petits dessins-symboles comme si je conservais des échantillons biologiques, comme si j’augmentais véritablement notre patrimoine végétal.»

Deux toiles issues de la série « Solastalgia ».

Bien qu’elle aime être témoin de la nature, Geneviève L’Heureux dessine toutefois plus par mémoire que par observation. Il lui arrive parfois de faire une obsession sur un végétal en particulier et d’analyser plusieurs images à la suite, même si l’abstraction finit par prendre le dessus sur le réalisme. 

«Je vais plutôt reprendre des formes qui m’interpellent, et mon but est plus de montrer comment je perçois la chose, ou comment mon cerveau l’a transformée! Mon imagination est assez fertile. Ajoutons à ça le fait que je suis curieuse et que j’accueille à tout moment ces pensées surréalistes-là, tout ça mis ensemble, ça donne des combinaisons inattendues!»

Aussi captivée que captivante, l’artiste visuelle se laisse sincèrement happer par les coïncidences de la vie. Les formes tangibles et fictives l’émeuvent et deviennent ses meilleures alliées lorsqu’il est question de donner vie à de nouveaux contours. 

En fait, dans l’univers artistique de Geneviève L’Heureux, tous les éléments et les teintes sont une porte ouverte et la nature s’invite presque incognito au creux de celles-ci. N’ayez donc aucune crainte à vous attarder sur les détails et les couleurs de ses créations pour y déceler un morceau de fougère, de cime de montagne ou de motif jusqu’alors inconnu. 

Deux toiles issues de la série « Solastalgia ».

Un projet marquant pour Geneviève L’Heureux…

«Ma plus grande toile à vie – jusqu’à date -, c’est un format 6 X 6 pieds (182,88 X 182,88 cm), et j’ai adoré faire ça. Elle s’intitule Soupe aux biscuits, et elle est basée sur un dessin tiré d’un recueil d’illustrations et de poésie. J’ai appris à l’école à construire mes faux-cadres, tendre la toile et appliquer l’apprêt moi-même alors j’ai tout fait de A à Z pour ce tableau-là, et je me rappelle avoir été fière du résultat. Ça m’avait donné le goût de continuer à peindre des grands formats. 

Elle a été exposée dans le cadre de ma première exposition solo, «Un instant de distraction» au Centre d’exposition de Repentigny (aujourd’hui le Centre d’art Diane-Dufresne), en 2010.

Vue sur l’expo « Un instant de distraction ». Crédit: Roger Lacoste

Aujourd’hui, elle est chez la mère d’une de mes meilleures amies, Aurélie Guillaume, une artiste joaillière. Mais à la base, c’était un échange d’œuvre qu’Aurélie et moi on s’était fait. Contre le tableau, elle m’a fait un collier; le pendentif est en argent et en or, et est en forme de maison. Et la maison, c’est un de mes dessins, tiré de ma série de «Maisons sans portes», que j’arrêtais pas de dessiner tout le temps. Car j’ai eu une phase «maisons», haha! Même si c’est pas terminé tout à fait non plus, les maisons, les habitats, etc. C’est un thème assez vaste qui permet d’explorer plusieurs choses: le lien avec l’environnement, le sol, les insectes, les animaux, etc.»

📌 Suivez l’artiste sur Instagram. Geneviève L’Heureux est également représentée par la galerie Fatale Art.

article rédigé par : Claire-Marine Beha

écrit le : 22 mars 2021