Chloé Sassi: une émancipation des corps et des sens

À l’heure où la censure des corps et leurs poils sévit sur nos écrans, la photographe Chloé Sassi ne s’empêche pas une seule seconde de dévoiler les épidermes et d’explorer une réalité crue, sans filtre, dans tout ce qu’elle peut avoir de bizarre, de magique et de profondément vivace. Dans ces images à la lisière du passé et de ce que pourrait être demain, il est si facile de se perdre et de prêter des émotions et des intentions aux protagonistes.

Dramatiques, éthérées, irrévérencieuses, captivantes, intimes, impudiques, les œuvres de l’artiste visuelle française nous proposent de bénéficier d’un petit vent de liberté, au creux des courbes et des paysages campagnards. Entrevue.

Bonjour Chloé! Comment la photographie est-elle entrée dans ta vie?

Je me suis tournée vers la photo quand j’étais adolescente, en Bretagne. À 14 ans, j’ai eu mon premier appareil photo numérique, et je faisais des autoportraits dans les champs, pour meubler l’ennui de la campagne.

Peu après, j’ai commencé à prendre mes ami.es en photos. Mes premiers nus ont été réalisés autour de mes quinze ans. J’avais besoin de chair pour habiter un peu mieux cette période transitionnelle.

À 18 ans, j’ai été prise à l’école des Beaux-Arts à la Villa Arson, et c’est là que j’ai initié la photo argentique. Mais déjà à ce moment-là, je considérais la photographie plus comme étant un travail de recherches visuelles que comme une finalité en soi. C’est une pratique qui m’est nécessaire à un niveau quotidien et qui me donne beaucoup de plaisir, mais à terme, j’aspire plus à faire d’abord des vidéos et des mises en scène immersives.

Crédit : Chloé Sassi

De quelle façon définirais-tu ton univers artistique?

Charnel, post-romantique, brut, dans une recherche de spontanéité, situationnel, végétal, transitionnel, à base de sylphides de la post-apocalypse.

«En se déshabillant […] on accepte de se laisser traverser par le monde.»

Quelles sont les idées qui traversent tes œuvres? 

Je suis attirée par de nouvelles manières d’habiter le réel – qui, dans l’état actuel des choses, me semble de plus en plus oppressant.

La photographie, dans la manière dont je l’envisage, est un bon prétexte pour créer des situations inédites et entrer plus facilement en intimité. Sous couvert des images, elle permet d’ouvrir des interstices, de se situer dans une attention aux choses. 

Pour la même raison, j’essaye d’abord de proposer une expérience, une mise en relation à mes modèles. J’aime l’idée que quelque chose s’accomplisse « pour de vrai », en dehors de la prise de vue.

C’est aussi pour cela que je fais surtout des photos en extérieur – parce que l’espace du studio me semble toujours un décor un peu factice, stérile. Je préfère aller à la rencontre d’espaces « naturels » – que je qualifie plutôt de « transitionnels » au sens où ils sont souvent en friche, à la jonction entre l’activité humaine et l’abandon partiel. J’affectionne particulièrement les « tiers-paysages », mais aussi les brèches nostalgiques, les ruines ou les intérieurs surannés.

De plus, j’aime imaginer qu’on ne puisse pas dater précisément mes images, tant dans le moyen de captation que dans les éléments qui les composent.

Crédit : Chloé Sassi

La nudité est omniprésente dans ton travail. Aimerais-tu nous en parler un peu?

La nudité est une excellente façon d’entrer dans des situations d’intensité. En se déshabillant, on enlève toutes les couches qui nous séparent d’une réceptivité corporelle totale. On devient exposé, vulnérable, mais une fois passée cette impression de fragilité, cela peut devenir une émancipation sensorielle merveilleuse. On accepte de se laisser traverser par le monde. On peut sentir la qualité de l’air sur la peau, chaque pore s’ouvre d’un coup à ce qui nous entoure. Je pense que la nudité a le pouvoir de nous ramener au présent.

Par ailleurs, c’est aussi un moyen précieux pour créer une intimité particulière, même en dehors de toute dimension érotique. C’est pour cette même raison que généralement je m’arrange pour qu’il y ait un rapport de réciprocité avec mes modèles : s’iels sont nu.es, dans la neige, je me mettrai nue dans la neige à mon tour. 

As-tu un moment préféré pour créer? 

J’aime l’aube et le crépuscule, comme beaucoup d’autres photographes sans doute.

En dehors de leur lumière particulière, j’ai l’impression que ces instants-là témoignent de manière visible de l’impermanence des choses, du fait que tout est toujours en transition, dans un mouvement continu. Ça les rend d’autant plus précieux que chaque minute est changeante, et il s’agit alors de se rendre plus présent-e à ce qui est en train de se faire. 

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article rédigé par : Claire-Marine Beha

écrit le : 16 mars 2021